Une ultime remarque sur le choix du pluriel dans « littérature de langues françaises ». On se doute qu’il est résolument polémique ; je me défie particulièrement, et ne suis pas le seul, du mythe d’une langue française unifiée et unificatrice, tout comme des représentations véhiculées par le douteux concept de « francophonie ». Je me contenterai d’avancer quelques raisons pour justifier ce pluriel. De Villon à Annie Ernaux — pour ne citer que des auteurs étudiés sur ce site — les formes du français ont profondément changé, au point que certaines semblent pour une part étrange, voire étrangères, à beaucoup de lecteurs. Tout grand écrivain est, peu ou prou, l’inventeur d’une langue à soi, et pas seulement d’un « style ». La langue de Céline, n’est ni celle des élites sociales, qu’elle subvertit, ni un français oral ou populaire, qu’elle réinvente. Montaigne, en un temps où les langues vernaculaires continuaient d’irriguer ce que nous appelons aujourd’hui la littérature, était tout à fait conscient que le français qu’il écrivait pourrait bientôt devenir inintelligible. D’autres, à l’exemple de Kourouma, ont pu choisir d’écrire en français pour contester, de l’intérieur même de la langue, la domination coloniale dont on sait qu’elle prétendait faire du français un instrument de « civilisation », tout en réprimant le plurilinguisme et les cultures autochtones. Bref, la littérature, que les écrivains le veuillent ou non, est rebelle par nature au monolinguisme impérieux qui est devenu, depuis longtemps dans notre pays, une affaire d’État.