Quelques mots sur l'auteur de ce site
Rien de plus déprimant que d’imaginer le Texte comme un objet intellectuel (de réflexion, d’analyse, de comparaison, de reflet, etc.). Le Texte est un objet de plaisir.
R. Barthes, Sade, Fourier, Loyola (1971)
Je n’ai jamais autrement conçu l’enseignement de la littérature que comme un plaisir à partager. Créer ce site (dont la dénomination n’est évidemment pas sans rapport avec le titre d’un autre ouvrage de Roland Barthes) quelques mois après avoir pris ma retraite, en septembre 2024, n’est qu’une manière de prolonger et d’étendre ce partage.
Durant près de trois décennies, j’ai exploré avec mes étudiants, soutenu par leur écoute et leur curiosité inlassables, des œuvres et des textes littéraires dans un cadre particulier, celui que, dans le jargon des classes préparatoires, on appelle une « khâgne » ; en l’espèce, la « khâgne Lyon » (antérieurement « Fontenay—Saint-Cloud ») du lycée Chateaubriand de Rennes. Ce disant, je ne suis le héraut d’aucune cause ni ne défends un système, qui a ses vertus et ses défauts. J’ai simplement cru profondément, et crois toujours, à la dignité du métier d’enseigner, où qu’on l’exerce, de la maternelle à l’université. J’ai du reste été, pendant une dizaine d’années, un très heureux enseignant en collège et, parallèlement, à l’université (comme chargé de cours) ainsi qu’à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Nantes.
À titre personnel, je n’aime ni les concours ni les compétitions d’aucune sorte ; ils ne m’intéressent guère, pas plus que les écoles supposées « grandes » vers quoi ils conduisent ; détestable morgue de cet adjectif, soit dit en passant. Ce fut un étrange paradoxe que de préparer des étudiants à y entrer. Je me suis pourtant accommodé sans réticence des programmes définis par les jurys des ENS de Lyon et d'Ulm parce que j’y ai vu une constante « vocation », entendons un appel à la curiosité et à la découverte.
Spécialiste en aucun domaine, moins encore « chercheur », je me revendique pur amateur… ce qui n’est pas nécessairement un trait de modestie. Avec leurs insuffisances, ou leurs errements, les études réunies sur ce site sont ainsi à considérer comme des excursions tâtonnantes et étonnées dans des terres inconnues qu’on traverse pour aller toujours un peu plus loin, vers d’autres promissions. Puisse-t-on y ressentir le plaisir que m’ont communiqué les œuvres qui les inspirent, et l’envie de les lire ou de les relire, je n’en demande pas plus.
Une ultime remarque sur le choix du pluriel dans « littérature de langues françaises ». On se doute qu’il est résolument polémique ; je me défie particulièrement, et ne suis pas le seul, du mythe d’une langue française unifiée et unificatrice, tout comme des représentations véhiculées par le douteux concept de « francophonie ». Je me contenterai d’avancer quelques raisons pour justifier ce pluriel. De Villon à Annie Ernaux — pour ne citer que des auteurs étudiés sur ce site — les formes du français ont profondément changé, au point que certaines semblent pour une part étrange, voire étrangères, à beaucoup de lecteurs. Tout grand écrivain est, peu ou prou, l’inventeur d’une langue à soi, et pas seulement d’un « style ». La langue de Céline, n’est ni celle des élites sociales, qu’elle subvertit, ni un français oral ou populaire, qu’elle réinvente. Montaigne, en un temps où les langues vernaculaires continuaient d’irriguer ce que nous appelons aujourd’hui la littérature, était tout à fait conscient que le français qu’il écrivait pourrait bientôt devenir inintelligible. D’autres, à l’exemple de Kourouma, ont pu choisir d’écrire en français pour contester, de l’intérieur même de la langue, la domination coloniale dont on sait qu’elle prétendait faire du français un instrument de « civilisation », tout en réprimant le plurilinguisme et les cultures autochtones. Bref, la littérature, que les écrivains le veuillent ou non, est rebelle par nature au monolinguisme impérieux qui est devenu, depuis longtemps dans notre pays, une affaire d’État.
Bibliographie
Outre les articles et conférences repris sur ce site :
Alain Trouvé, Pratiques d’expression 6e-5e, Nathan, 1991
Alain Trouvé, Enseigner l’expression écrite et orale 6e-5e, Nathan, 1991
Alain Trouvé, Lire Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, PUF, 1998, nouvelle édition en 2014
Alain Trouvé, Réussir le résumé et la synthèse de textes, PUF, 1999 (6ème éd. 2020)
Alain Trouvé, Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné, La Bibliothèque Gallimard, 2000 (texte et commentaires)
  1. Le plaisir du texte, Seuil, 1973